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Dans ces personnages, dans leurs vicissitudes, leurs rêves et leurs quêtes, dans leur humanité....
...bien plus que dans leur judéité, beaucoup d’entre nous pourraient se reconnaître.
Partant de ce qui vous avait semblé bas : petitesse, méchanceté, légèreté, envie de changer, les personnages grimpent vers des hauteurs qui font penser aux hauteurs saintes.
Une véritable situation pascale : le passage !
Srce : Wikimedia Commons
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Le titre pouvait intriguer. Pessah est l’hébreu pour Pâque — Le mot français, lui, est dérivé de l’araméen « paskha », que parlait Jésus, ou du grec « paska » — Pessah désigne, et commémore, depuis quelque trente-deux siècles dans le judaïsme, la préparation à l’exode des esclaves hébreux (Exode 12/128), qui allaient sortir d’Égype en passant la Mer Rouge, puis errer dans le désert pendant quatre décennies, guidés par Moïse. L’autre mot dans le titre : Passage, vient d’une étymologie peu sûre de l’hébreu pessah : passage de la lune à son zénith — D’autres étymologies ont été proposées : le verbe sauter ou boîter, une danse rituelle, etc. — Quoi qu’il en soit, qui s’attend aujourd’hui à voir célébrer au théâtre à Paris cette Pâque biblique seulement fêtée par les Juifs et quelques groupuscules protestants ?
Comme l’affiche représente des convives autour d’une table juive rituelle, on pense que l’intrigue a pour décor cette salle à manger sans rapport direct avec elle. Or, contre toute attente, la table pascale va être, pour ainsi dire, le personnage central de la pièce. Au lever de rideau, scène de théâtre réaliste : Une femme quinquagénaire, dans un logement modeste, s’active à ranger et nettoyer. Elle attend ses enfants, notamment son petit-fils qui a 15 ans aujourd’hui, jour de la Pâque Juive. Elle nous apprend que son mari, le père de ses enfants, ne viendra pas, non parce qu’il est chrétien, mais parce qu’il est hospitalisé pour maladie de Parkinson. Le cœur déchiré, elle dit à la salle qu’étant restée fidèle à la foi juive, elle souffre de sentir ses enfants peu concernés par la Pessah et combien elle souhaiterait qu’ils retrouvent leur judaïsme. Nostalgique, elle se remémore les repas de Pessah quand, benjamine de la famille, elle posait à son grand-père la question rituelle sur le sens de ce repas (voir plus loin). Soucieuse encore aujourd’hui d’observer scrupuleusement la tradition, un chandelier à la main, elle se baisse pour vérifier qu’il ne reste pas la moindre miette de pain ordinaire sur le sol, en mémoire de la prescription : Pendant sept jours vous ne mangerez que du pain sans levain ! (Exode 12/12).
La fille aînée, Nora, arrive la première, chargée de provisions. À son tour, elle se met à ranger et balayer. Tout en nettoyant le réfrigérateur, elle converse sans tendresse avec sa mère, la rabroue quand elle évoque, une fois de plus, le passé, l’holocauste, la shoa, les rites juifs qui se perdent. Nora annonce que son fils a reçu une mobylette de son oncle, en cadeau d’anniversaire, et que ce soir il y a fort à parier qu’il rodera son engin au lieu de venir dîner. Cette nouvelle peine un peu plus la mère. Tout en dressant la table, elle dit encore son désarroi.
Arrivent Betta, la seconde fille, et Giogio, le fils, eux aussi les bras pleins de provisions. Le repas commence : Agneau rôti avec les traditionnelles herbes amères, accompagnés de pain azyme. L’atmosphère est très tendue. Betta raconte que, se sentant en déphasage avec son milieu professionnel, elle abandonne le journalisme pour écrire un roman, une autobiographie dans laquelle elle retrouverait son identité, pas forcément juive. Giorgio, quant à lui, s’étend avec passion sur les espérances qu’il place dans le bouddhisme et interdit à sa mère de se lamenter pour ça. Cela l’amène, en fin de compte, à lancer un non-dit pesant : Betta doit savoir qu’elle est née d’une liaison adultérine de sa mère avec un Juif.
Dans ces personnages, même dans les absents : le petit fils en ville sur sa mobylette et le père à l’hôpital (l’ascendance juive n’a-elle pas toujours passé par les mères, de toute façon ?), dans leurs vicissitudes, leurs rêves et leurs quêtes, dans leur humanité bien plus que dans leur judéité, beaucoup d’entre nous pourraient se reconnaître. Une famille comme nous en croisons souvent, quelles que soient leurs références idéologiques et religieuses. Mais celle-ci, ce qui est plus rare, a levé le voile sur l’hypocrisie et le mensonge. Ses membres n’ont pas trouvé dans leur religion une réponse à leur soif d’exister et ils sont déterminés à trouver un sens à leur vie. Quant à la mère, elle connaît bien la question rituelle : Que répondrez-vous quand vos enfants vous demanderont : « Qu’est-ce que ce rite ? », et la réponse que donne la Bible elle-même : « C’est le sacrifice de la Pâque du Seigneur… » (Exode 12/26), mais elle n’est pas si sûre d’en avoir nourri sa conscience. Elle comprend la révolte de ses enfants contre le fardeau des traditions religieuses et elle en souffre en même temps.
Au bout d’un moment, les spectateurs perçoivent que les personnages n’ont pas que des noms italiens. C’est l’Italie même qui bouge sur les planches. L’Italie bien à fleur de peau. Alors, on commence à mieux saisir cette véhémence qui toujours, en France, paraît d’abord un peu primaire. Des juifs italiens ! Tout devient naturel, puis profond dans ces êtres dont la remise en cause passe à l’universalité. Si vous êtes un Pèlerin d’Arès, quelqu’un qui donc s’est aussi posé bien des questions fondamentales en passant de sa culture à cette anti-culture arésienne, vous le comprenez mieux encore.
Partant de ce qui vous avait semblé bas : petitesse, méchanceté, légèreté, envie de changer (de journaliste à romancière, de juif à bouddhiste), les personnages grimpent vers des hauteurs qui font penser aux hauteurs saintes de La Révélation d’Arès (20/4, 26/1, 36/19, etc.). Une véritable situation pascale : le « passage » ! Le passage de l’esclavage minable de la vie vers le Haut. Certes, les sentiers d’escalade (25/5) qu’évoquent sous diverses formes les personnages paraissent incertains, plutôt supposés ou recherchés que réels, mais c’est cela, la Pâque : l’espoir. Les Hébreux se préparant à l’évasion, par un repas solide, ne savent pas ce qui les attend : l’interminable exode et ses épreuves. Mais ils se doutent, sans en connaître le prix, que c’est une libération.
L’auteur, Laura Forti, relie sa « Passah » familiale tempétueuse à la situation politique générale que, depuis si longtemps et aujourd’hui encore, les Juifs subissent : les persécutions séculaires jusqu’à l’holocauste, donne à sa pièce un sens politique universel, inattendu dans une situation somme toute minuscule : une famille italienne dans les petites crises de ses membres, des gens ordinaires.
En mettant en scène la Pâque juive dans une famille qui, sauf un des personnages, a perdu sa foi juive, l’auteur nous rappelle le sens de l’exode des hébreux. Des esclaves sur le point d’entreprendre la recherche, infinie, de l’héritage perdu des ancêtres Abraham, Isaac et Jacob, et qui aujourd’hui encore ne l’ont pas retrouvé.
La fête de Pâque chez les juifs résulte, en fait, de la combinaison de deux solennités différentes, dont les significations se mêlent, ce à quoi, d’ailleurs, Exode 34/18 fait clairement allusion. Une fête agricole, très ancienne, le mois des épis… la fête du froment, de la récolte (Exode 34/22), à laquelle s’ajoute la Pâque (Exode 34/25), la célébration de la sortie d’Égypte. Cette fusion n’est sûrement pas fortuite : le blé qui s’est vidé (Rév. d’Arès XXVI/8) et qu’il faut remplacer par de nouveaux épis (Rév. d’Arès 13/7, 14/1-3, 31/6, etc.) en vue de leur éternité, en vue du temps où la nourriture ne s’épuisera plus, en vue de la résurrection, de la libération finale.
Sœur Marcelline
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